dimanche 30 janvier 2011

Bonnes et mauvaises révolutions ?

Le pouvoir égyptien, aussi autoritaire et corrompu soit-il, a une vertu aux yeux de l'Occident : il vit en paix avec Israël.

La révolution tunisienne sent si bon le jasmin et la liberté, la démocratie et la laïcité, que les opinions occidentales l'ont facilement adoptée : « Oui à une révolution dans un petit pays arabe, si proche de nous, sans islamistes connus, et loin de la bande de Gaza ! » Mais quand la révolte enflamme l'Égypte, l'accueil se refroidit : « Oui, peut-être, à certaines conditions, si vraiment il le faut, à une révolution dans un grand pays arabe, de quatre-vingts millions d'habitants, qui a vu naître et prospérer les Frères musulmans, et où débouchent des souterrains creusés en Palestine. »
Pourtant, l'aspiration à la liberté est aussi légitime sur les rives du Nil qu'en Tunisie. Il sera difficile d'expliquer à la jeunesse du Caire qu'elle doit rester chez elle parce que sa révolution risque de libérer des forces encore plus obscures que celles qui gouvernent, et de porter au pouvoir un régime religieux aussi bête et méchant qu'en Iran.
Les capitales occidentales ont beau s'inquiéter, les spécialistes du monde arabe alerter, les opinions s'alarmer, les mêmes causes produisent les mêmes effets. Le mimétisme est sidérant. Jusqu'aux slogans, parfois lancés en français, qui demandent le départ de Ben Ali d'un côté, de Moubarak de l'autre.
On avait enfermé le monde arabe dans un modèle figé : un pouvoir autoritaire qui contient les assauts islamistes et une « rue » qui défile, de façon spectaculaire et un rien inquiétante, pour conspuer les sionistes et brûler le drapeau américain. On se doutait bien que la réalité était un peu plus complexe, on s'aperçoit à la faveur de ces événements que ce modèle a bien évolué.
Emmanuel Todd (auteur avec Youssef Courbage du Rendez-vous des civilisations, au Seuil), a mis en évidence la modernisation résolue de ces sociétés. Leur niveau d'alphabétisation et leur nombre d'enfants par femme se rapprochent des nôtres, l'exogamie progresse. Or, l'expérience a montré que ces tendances sont porteuses de bouleversements.
Le pouvoir égyptien, aussi autoritaire et corrompu qu'il soit, a une vertu aux yeux de l'Occident : il vit en paix avec Israël. Si les événements actuels devaient faire le lit des islamistes radicaux, l'équilibre au Proche-Orient en serait rompu. L'ennemi déclaré d'Israël, l'Iran, se verrait flanqué d'un allié de taille.
On comprend l'angoisse des dirigeants du monde. Mais quelque chose d'irréversible est en train de se passer dans cette région. Une course de vitesse est engagée entre l'aspiration démocratique et la tentation théocratique. L'Europe n'a pas de leçons à donner - son histoire ayant été suffisamment tragique -, mais elle doit soutenir coûte que coûte ceux qui se battent pour leur liberté, plutôt que de choisir entre les révolutions.

La Voix du Nord

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