mercredi 16 mai 2012

Todd : "les dirigeants allemands vont toujours plus loin dans la menace qu’ils ne le peuvent"

 L'anthropologue et historien français Emmanuel Todd.
Image: Steeve Iuncker-Gomez

Dans « Après la démocratie », vous avez analysé l’élection de Nicolas Sarkozy comme un symptôme des maux de la société française. Que dire de celle de François Hollande, investi hier? Cette élection est très importante. On a dit que c’était un référendum pro ou anti Sarkozy. C’était de fait un référendum sur l’identité nationale avec cette question: Qu’est-ce que la France ? La France est-elle encore celle de l’idéal de 1789 ou se définit-elle aujourd’hui, dans un espace mondialisé, sur des critères ethniques ? A mes yeux, Nicolas Sarkozy qui a fait une campagne à l’extrême droite, dans ce que j’appelle une pédagogie du mal. Il a été le candidat d’une pathologie, d’une déviation de ce qu’est la tradition nationale porteuse d’universalité et d’égalité. François Hollande a fait sourire en se déclarant un président normal. Il était en fait celui de la normalité nationale. Et il a d’ailleurs fait campagne sur ces thèmes. Il y a une illusion dans la démocratie. Les gens pensent qu’ils ont choisi un homme, mais en réalité les Français ont dit ce qu’ils étaient. Un peuple qui vote, dit comment il se juge lui-même. Le résultat a été tangent. Mais les grandes décisions historiques ne se prennent pas à une large majorité.
Pensez-vous que le couple franco-allemand peut rester le pilier de l’Union ? La réconciliation franco-allemande après la guerre, il fallait la faire. Mais, se réconcilier, ce n’est pas décider qu’on est pareil. L’histoire de l’Europe, c’est ça. Au départ, c’est un projet construit sur un modèle franco-compatible, avec des nations à égalité de voix, quelle que soi leur taille ou leur puissance. Avec la mise en hiérarchie des pays membres avec l’Allemagne au sommet, la France en brillant second et les pays latins en queue de liste, on est passé à un modèle plus hiérarchique, à une conception plus allemande, du point de vue des rapports entre structures familiales et idéologies. Mais l’Allemagne n’a pas de véritable aspiration à la domination. Le problème de ce type de société construit sur le modèle autoritaire, c’est que quand il n’y a plus personne au-dessus d’eux, cela peut déraper. Or, l’Allemagne c’est largement émancipée des Etats-Unis. Même Brzezinski pose la question d’une tentation, d’un retour d’une politique bismarckienne de puissance indépendante, avec les accords stratégiques sur l’énergie avec la Russie, par exemple. Il y a des signes qui montrent qu’elle se comporte comme une grande puissance maintenant. Il n’y a pas que les diktats à la Grèce. En revanche, les Japonais, qui ont aussi une structure autoritaire, ne veulent plus être en situation de domination et ont fait le choix d’être le petit frère des Etats-Unis.
Vous faites le constat d’un échec de la monnaie unique. L’Allemagne menace aujourd’hui la Grèce d’une sortie de l’euro. Cela signifie quoi pour vous ?
D’abord, il faut savoir que si l’euro s’effondre, c’est l’Allemagne qui sera le pays le plus touché parce qu’il est le pays le plus exportateur. En 1929, ce sont les Etats-Unis et l’Allemagne qui ont souffert le plus du krach boursier parce que ces deux pays étaient les deux plus grandes puissances industrielles de l’époque. Les Allemands ont parfaitement compris qu’avec un retour aux monnaies nationales, tout le monde va dévaluer autour d’eux pour se protéger des exportations allemandes. Et l’Allemagne retrouve le mark et est étranglée. C’est pour cela que les dirigeants allemands vont toujours plus loin dans la menace qu’ils ne le peuvent. La réalité c’est que les gens qui sont vraiment traumatisés par la disparition de l’euro, ce sont les dirigeants allemands. En revanche, les Grecs et les Français veulent rester dans l’euro pour des raisons plus irrationnelles. Parce qu’il y a un côté magique à la monnaie, parce qu’ils n’y comprennent rien. Ils ne se rendent pas compte que la fin de la monnaie unique leur ferait beaucoup de bien.
Vous dénoncez une sorte de complot de l’oligarchie financière et mondialiste contre la démocratie. Faites vous du Davos du Forum mondial ou de la Genève de l’OMC, des capitales de ce que vous détestez ?
D’abord Davos, ça n’a pas beaucoup d’importance. Quant à Genève, ce n’est pas seulement l’OMC, c’est aussi le siège de l’Organisation internationale du travail et de nombreuses institutions internationales. . L’OMC , ce n’est pas le problème. Si on passe au protectionnisme régionalisé, il faudra juste virer Pascal Lamy. Le problème, c’est le libre-échangisme actuel de l’OMC. Quant à Genève, c’est une grande ville francophone qui a un tel rôle international. Genève est une vraie chance pour la France. Si la France veut se suicider elle n’a qu’à critiquer Genève. Ou Bruxelles. La France doit immensément plus qu’elle ne le croit à ces deux grandes villes francophones qui échappent à l’influence de Paris. Car sans elles, avec son centralisme, la France serait morte depuis longtemps.

 (TDG)

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