dimanche 22 septembre 2013

La Russie, la Syrie et l’humiliation française, par Jacques Sapir


L’une des choses les plus marquantes qui se dégage de la dernière session du Club Valdaï en septembre 2013 est la profonde différence dans la conception de la politique étrangère entre certains pays occidentaux (comme la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis) et la Russie, appuyée par les pays émergents. Il ne faut pas s’y tromper. Si la Russie à pris, sur la question Syrienne , des positions très fortes elle a reçu le soutien de la Chine, de l’Inde, et de nombreux autres pays allant du Brésil à la République Sud Africaine. Présenter ces positions comme la défense d’une dictature (la Syrie) par une autre dictature (la Russie) est une caricature qui déshonore ceux qui la soutiennent. Personne n’oserait pourtant affirmer que le Brésil, l’Inde et la République Sud Africaine sont des dictatures. Et, néanmoins, ces pays soutiennent la position russe. Il convient donc de regarder cette question d’un œil libre de toute propagande.

La question de la prolifération.

De quoi s’agit-il en fait ? L’intervention de Sergey Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, au Club Valdaï fut à cet égard très instructive. Un problème essentiel est celui de la prolifération des armes de destruction massive. Un régime de non-prolifération, ou du moins de prolifération contrôlée, constitue à l’évidence un « bien public » international. Or, depuis maintenant une vingtaine d’années, les connaissances et les capacités techniques, qu’elles concernent le nucléaire, le chimique ou le domaine des vecteurs balistiques, se sont largement diffusées. Pourtant, le nombre de pays proliférant est resté relativement limité. L’un d’entre eux a même abandonné l’arme nucléaire qu’il avait clandestinement acquise (la République d’Afrique du Sud). Certains sont des proliférateurs assumés (Pakistan et Inde), d’autres des proliférateurs « discrets » ou « honteux » comme Israël mais aussi, à une moindre degré, la Syrie et la Corée du Nord. L’Iran pourrait les rejoindre dans les prochaines années. Il faut alors se poser la question de savoir pourquoi la prolifération des armes de destruction massive a-t-elle été aussi limitée. La raison essentielle tient dans le système de sécurité collective représenté par les Nations Unies et le Conseil de Sécurité. On peut faire de nombreuses critiques aux Nations Unies. Mais, ce qui est proposé à sa place est largement pire.
Quelles seraient donc les conséquences de politiques menées par certains pays visant à contourner les Nations Unies et le Conseil de Sécurité ? Il faut ici comprendre la logique de l’unilatéralisme, qui fut défendu par les Etats-Unis lors de la crise irakienne en 2002-2003. C’est le contournement du système international par une grande puissance, et non par une puissance mineure. Ce contournement fait peser une menace implicite sur un très grand nombre de pays. Cela constitue, à l’évidence, une incitation forte à se doter d’armes de destruction massive et à monter en gamme dans ces armes. Bien entendu, l’imitation joue aussi un rôle important. Que, dans une région du monde, un pays se dote de ce type d’armes et la pression sera forte pour ses voisins de l’imiter. On a vu la logique de ce processus au Moyen-Orient ou la constitution d’un arsenal nucléaire par Israël a encouragé les autres pays à développer des armes équivalentes (les gaz). Aujourd’hui le principal reproche que l’on peut faire à l’Iran est que le manque de transparence de son programme nucléaire va pousser l’Arabie Saoudite, et peut-être les monarchies du Golfe, à développer des armes de même nature. Ceci ne fait que reposer la problématique que j’avais développée dans mon livre Le Nouveau XXIème Siécle[1] où je défendais l’idée d’un statut international du proliférateur assurant un contrôle collectif sur ce type de pays. Si l’on reprend la question du rôle des Nations Unies dans ce contexte, on ne peut que constater que toutes les tentatives de contournement que l’on a connues depuis une vingtaine d’années on conduit à un renforcement des tendances à la prolifération. De ce point de vue, on peut considérer qu’il y a un paradoxe important. Les Etats-Unis, et leurs alliés, menacent de se passer des Nations Unies pour affronter le problème de la prolifération, mais ce faisant ils encouragent d’autres pays à proliférer. Seule, la constitution d’un système international de règles est capable de gérer ce problème. Et, sa création implique qu’il ne puisse être utilisé par certains contre d’autres, d’où la signification du droit de veto au Conseil de Sécurité. Notons ici qu’il a été  massivement utilisé tant par les Etats-Unis que par l’URSS et la Russie depuis la création des Nations Unies. (...)

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