lundi 11 septembre 2017

Soudain, dans les capitales de l’UE, un désir de guerre...



Ce qui vous apparaît sur cette image, c'est bien le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson. Il est allé en Estonie pour pouvoir se déguiser à l’aise et il a (selon le Telegraph) « grandement apprécié » une balade à bord d’un char Challenger des forces armées britanniques déployées en Estonie dans le cadre de la grande stratégie de l’OTAN de containment agressif de la Russie. Ces chars, a-t-il dit, sont « une présence rassurante pour les alliés face à l'antagonisme russe en Europe du Nord et dans la région balte ».

Avec la déclaration du président français Macron selon lequel « 70 ans de paix sont une aberration de notre histoire », l'image d’un diplomate qui reprend le casque guerrier montre qu’il existe dans notre soi-disant classe dirigeante un désir de guerre étrange dans cette pose antagoniste vis-à-vis de la Russie ; et, au travers de telles manifestations simultanées, on pourrait voir une sorte d’obéissance à un “signal convenu”.

Quiconque a vu le débat pré-électoral entre les deux prétendants à ma chancellerie allemande, Angela Merkel et Martin Schulz, a pu mesurer le simulacre de leur affrontement : bien plus qu’antagoniste et concurrent, Schulz était celui qui tient le rôle du faire-valoir notamment dans la comedia dell’arte italienne, celui qui est chargé de mettre en valeur la performance de la vedette comique. Aucune critique de la conduite de l'UE, de l'euro, de la réduction de la Grèce à la mendicité, aucune élaboration sur les questions délicates que Schulz avait posée concernant la victoire inscrite dans les astres de Mutti. La plus grande prudence était de mise pour un débat à sens unique parce qu’aucun autre n’est possible (il faut parler comme il faut, il s’agit de la démocratie allemande).

Une raison de cette retenue complice se trouve probablement dans le fait que les deux pseudo-compétiteurs se préparent à former un gouvernement de coalition. L’autre raison est que les projets concernant le type d’hégémonie que l’Allemagne doit imposer à l'Europe sont bien compris par les acteurs concernés et il n'est pas nécessaire d'alarmer quelque auditeur ou spectateur non averti avec un débat à ce propos.

Laquelle hégémonie, cela va sans dire, doit être militaire.

« Le groupe de réflexion fédéral, SWP (Stiftung für Wissenschaft und Politik), propose que Berlin prenne le leadership militaire de l'UE sinon de l'OTAN, – écrit le site German Foreign Policy. Selon ce centre de réflexion stratégique, l'Allemagne doit montrer un “leadership fort” au sein de l'OTAN et inciter l'ensemble “occidental” à adopter une nouvelle orientation stratégique ».

Et quel est ce “nouveau” concept stratégique ? Vous le reconnaîtrez sans peine : « La réorientation de la politique mondiale germanique, qui, après la prise de contrôle de la Crimée par la Russie, ne doit plus envisager que des interventions militaires dans le monde entier pour protéger et assurer les intérêts stratégiques ou économiques [c'est-à-dire participer à des guerres du type-neocon] et pour lutter contre les « conceptions concurrentes de sa [propre] conception » de la politique internationale. Les projets de “conception concurrentes” sont ceux de la Russie et de Pékin, et ils sont détestables et nuisibles parce qu'ils représentent « un ordre multipolaire en formation » et qu’ils « exercent une influence croissante sur le plan économique, politique et militaire » – réduisant ainsi la liberté d’intervention militaire de l'Occident par projection des forces, comme en Syrie, en Irak, en Afghanistan, en Libye ...

L'agressivité de Moscou est définie par le fait qu'il « apparaît comme un centre d’influence indépendant à l'échelle mondiale ». Tant que Moscou insiste sur « la capacité d’opérer indépendamment » [notamment par rapport aux intentions de Merkel et de Mogherini], il s’agit d’un « un défi [inacceptable] pour notre continent », dit le groupe de réflexion allemand.

L’Allemagne, estime le SWP, devra assurer le commandement de cette dynamique d’hégémonie qui se manifestera dans la création de trois divisions multinationales « pour assurer le complément des troupes de l'OTAN stationnées dans les pays baltes et en Pologne », qui constituent le “fer de lance” de l'Alliance contre l’agressive Russie. Deux des trois divisions multinationales devront être constituées à partir « du personnel et des structures des divisions allemandes » ; en bref, elles seront allemandes et commandées par des Allemands. En outre, l’élément aérien qui viendra renforcer l'OTAN « s'appuiera pour plus de 75% des capacités sur la République fédérale », explique le “Livre blanc” du SWP, ignorant complètement la contribution française, du seul pays européen qui dispose d’une production complète indépendante d’armements. En ce qui concerne la Marine, le projet implique « un commandement naval dans la Baltique dominé par l'Allemagne » ; ce qui se résume par le constat que « [l]e rôle de l'Allemagne dans ces alliances et structures est important sur terre, dans le ciel et sut mer". En d’autres termes, Berlin se prépare à remplacer les États-Unis « dans le rôle traditionnel du leader de l'Alliance », qui aujourd'hui « ne l’assurent plus de façon satisfaisante ». Tout cela coûtera beaucoup plus que les €130 milliards prévus par le ministère de la Défense jusqu'en 2030, « mais le leadership politique-militaire a son prix », et Mutti, de concert avec les Allemands comme il est habitué à faire, est prêt à payer pour cela.

La Bundeswehr deviendra alors « l'une des armées les plus importantes du continent », proclame le SWP. De même, les formations de combat multinationales dirigées par les Allemands « devront pouvoir être utilisées » dans les opérations de l'UE : donc en dehors du cadre de L'OTAN, dans une sorte d'armée européenne hégémonique allemande.

L’UE se comporte en fait comme un ennemi de guerre de Moscou. Lorsque Poutine a lancé une initiative inattendue en proposant qu’une mission de Casques Bleus de l’ONU soit déployée dans le Donbass pour tenter de contrôler et d’arrêter les affrontements sporadiques dans cette région, quelle a été la réponse de l’UE ? Le 6 septembre, l'Union européenne a étendu les sanctions contre la Russie pendant six mois, y compris le gel des biens et l'interdiction d'entrer dans l'UE faite au responsables russes et aux séparatistes ukrainiens « soutenus par Moscou ». Dans le même temps, il était annoncé que le nouvel ambassadeur russe aux États-Unis, Anatoly Antonov, « devrait rester sur la liste des sanctions », selon Spoutnik. En cela, l'Europe dépasse même l'Amérique : contre Antonov, Washington n'a pas fait de restrictions, notamment puisqu’il l’a accepté comme nouvel ambassadeur de Russie.

Bref, un grand désir de guerre emporte Mutti, Macron, Boris Johnson... comme suivant un “signal convenu”. Pour vous autres, Italiens, tout va bien n’est-ce pas ?

Maurizio Blondet (Article original italien)

Traduction + commentaire de P. Grasset : Dedefensa

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